Enfin en vacances !
Ça y est, c'est la fin de ma dernière semaine d'école pour cette période. Cela fait seulement 6 semaines, et même cette dernière est raccourcie à cause du congé de vendredi saint.
Pourtant, je me sens vraiment épuisé. Si je calcule mes heures sur des semaines qui comptent souvent 6 jours de travail, je dépasse facilement les 50, voire parfois les 60. Est-ce que je travaille trop ? Peut-être. Est-ce que je m'acharne sur des tâches inutiles, est-ce que je déplace du vent, bien rarement!
Sortir du cliché
C'est la vie - pas rêvée mais bien réelle - de l'enseignant. Celle que mes stagiaires découvrent lors de leur entrée de plain-pied dans la profession, de manière encore bien homéopathique. Lorsque nous "travaillons," nous travaillons beaucoup. C'est facile de ne compter que les 14 semaines de vacances, sans regarder de l'autre côté, lorsque nous sommes en "semaines de travail." Alors oui, on peut blâmer les quelques enseignants qui refont chaque année la même chose, qui arrivent en même temps que les élèves et repartent avec eux... mais ne font-ils pas autant partie de l'imaginaire collectif que les 14 semaines de vacances! De tous mes collègues, que je côtoie toute l'année, je n'en connais aucun qui corresponde à ce stéréotype, de près ou de loin! Par contre, des collègues qui sont à l'école depuis 7h15 le matin et qui y sont encore bien souvent après 17h30, j'en connais beaucoup. Sans compter le travail qui sera fait encore à la maison le soir, lorsque les enfants sont couchés, pendant les week-ends et pendant ces sacrées 14 semaines de vacances!
Récupérer : un besoin vital
Dans le canton de Vaud, où je travaille, c'est annoncé très clairement. Le temps de travail hebdomadaire est de 49 heures. Comme n'importe quel autre fonctionnaire, nous avons 5 semaines de vacances. Les autres sont considérées de la récupération. Comme dans le privé, où l'on récupère ses heures supplémentaires en jours de congés. Si ce n'est pas pour nous, c'est dans le contrat.
Je ne connais personne qui culpabilise de récupérer ses heures supplémentaires. Pourquoi le ferions-nous? Non seulement nous y avons droit, mais pour vivre à ce rythme depuis plus de 20 ans, cela devient un véritable besoin, une nécessité physique, mentale, psychique, pour pouvoir tenir le coup jusqu'à la fin de l'année. Et envisager sereinement d'en recommencer une autre.
Ce n'est pas pour rien, bien souvent, le début des vacances rime avec maladie. Pas seulement dans notre profession.
Cette récupération, en heures de sommeil, en renouvellement par des journées à ne rien faire ou à faire tellement peu par rapport à celles de travail, bien souvent, n’est pas un choix mais une imposition de notre métabolisme, comme si notre corps nous dictait de lui rendre un peu ce qu'il nous a tellement prêté pendant les semaines précédentes.
Récupérer pour créer
L'enseignant est un être créatif. Toute la journée, il analyse, prend des décisions, se remet en question, adapte, et produit de nouvelles pistes d'action. Il est créatif au sens premier du terme: trouver des solutions innovantes à une situation problématique. Cela demande des ressources et des perspectives. Si les vacances sont en premier une récupération contractuelle, elles sont également un moyen de retrouver envie et moyens pour accomplir notre mission. Parce que oui, pour une immense majorité d'entre nous, être enseignant, c'est une passion avant les vacances! Une passion pour les enfants, pour leur développement, pour leur accompagnement, pour leur apprendre de nouvelles choses, pour les éveiller aux multiples facettes de la vie. La très grande diversité des enseignants permet un enseignement qui, outre le programme officiel, mettra en relief de nombreux domaines de développement, parlant tantôt à l'un, tantôt à l'autre, au fil du temps qui passe et des enseignants rencontrés.
Pour créer, il faut des problèmes; on n'a pas besoin de les chercher; ils nous tombent dessus bien assez nombreux. Mais il faut aussi de la disponibilité. De temps. D'énergie. De neurones. C'est pour cela que la récupération est nécessaire.
Reprendre son souffle
Je ne sais pas comment cela se passe chez vous, mais dans ma famille, avec 3 enfants et une épouse enseignant également, il y a beaucoup de choses qu’on laisse souvent en arrière "pour les vacances". Le changement de chambre des filles, les grands rangements ou nettoyages, tel projet d'activité, de découverte, de chantier... tout simplement parce que pendant les semaines ordinaires, on n'a ni le temps, ni l'énergie de le faire. Ces semaines de répit, de reprise de son souffle, sont aussi au niveau concret.
Durant ces prochains jours, nous allons profiter, mon épouse et moi, de réorganiser et ranger la grande pièce qui nous sert de bureau commun à domicile. Les investissements financiers personnels des enseignants, on en parle? Nous avons rêvé, plutôt concrètement, ce matin, de ce dont nous avions besoin et de la manière dont nous pouvions faire tenir tout cela dans la pièce. Entre discussions et concessions, essais et impossibilités, nouveaux essais, comparaisons, nous avons trouvé des possibilités d'améliorer notre espace de travail pour qu'il nous attire plus qu'il ne nous repousse. Bien sûr, on pourrait continuer comme cela pendant longtemps, puisqu'il le faut, et aller à reculons chaque fois qu'il le faut bien. Mais nous préférons mettre à profit ce temps de vacances pour mettre un bon coup dans une amélioration systémique de notre environnement de travail. Et les filles seront toutes contentes de nous aider! 3 jours de travail prévus, mais bien du plaisir ensuite. Et ce sera peut-être reparti pour 10 ans!
Retrouver des perspectives
S'il peut arriver que certains d'entre nous profitent de deux semaines au bord de la mer, à ne rien faire d'autre que bronzer, nager, et boire des cocktails - personnellement, je ne trouverais même pas cela choquant — il faut bien avouer que la plupart des enseignants prennent aussi sur ces semaines pour remettre en perspective leur prochaine période, préparer leurs cours, adapter les contenus à leurs différents élèves et élèves différents. Ils pensent aussi à la course d'école, c'est de saison, qui peut à elle seule occuper plusieurs heures de travail parce qu'ils veulent faire découvrir quelque chose de nouveau à leurs élèves et leur permettre de passer une journée inoubliable. C'est bien connu; les élèves retiennent bien plus les expériences que les connaissances. Les vacances nous permettent aussi de travailler, de prendre un peu d'avance et de recul, de trouver des perspectives, des raisons pour nous d'aller en classe et des outils pour donner envie aux élèves d'y venir. Comme si nous ne travaillions pas assez durant les semaines d'école, nous travaillons encore pendant les vacances. Un peu, beaucoup, selon les besoins et les nécessités.
Chères collègues, chers collègues, je vous souhaite d'excellentes vacances. Prenez soin de vous. Reposez-vous. Respirez. Renouvelez-vous. Vous avez droit. C'est contractuel. Et puis, tout cela, vous ne le faites pas seulement pour vous mais aussi pour vos élèves.