Le casque antibruit : bonne ou mauvaise idée ?
Qui aurait cru, il y a une cinquantaine d’années qu’on aurait besoin de casques antibruit dans l’école ?
De nouvelles pratiques pédagogiques font apparaître de nouveaux outils… ou intègrent à l’école des éléments qui étaient jusque là réservés à d’autres sphères de la société. Qui aurait cru, en effet, il y a une cinquantaine d’années, qu’on aurait besoin de casques antibruit dans l’école, havre de discipline et de silence. Les pratiques pédagogiques ont bien évolué, la compréhension du fonctionnement humain, des différences entre les individus et des besoins de compensation également. Ainsi, le casque antibruit fait son apparition dans la panoplie du matériel de classe, nécessaire pour certains, confortable pour d’autres et peut-être encore outil magique dans certains cas.
Loin de vouloir le généraliser ou, à l’opposé, de le refuser net, voyons son utilité et replaçons-le dans l’ensemble des éléments susceptibles d’améliorer l’attention et la concentration des élèves.
Au service de l’attention
Je ne reviendrai pas en détail sur le développement de l’attention en classe ainsi que sur les éléments qui permettent de la renforcer, vous pouvez le lire dans cet article de blog ou regarder la vidéo sur le même sujet.
Attention !
Un élève est toujours attentif à quelque chose, dit Jean-Philippe Lachaux, spécialiste des neurosciences et fondateur d’Atole.
Réguler le bruit
Réduire les distractions auditives
Différentes distractions se produisent dans la classe tout au long de la journée. Dans le cadre de l'utilisation du casque antibruit, voyons les dispositifs qui permettent de réduire le bruit.
établir un cadre de travail clair (règlement de classe) et le maintenir (rétroactions permanentes)
donner des consignes claires et précises quant au travail à effectuer, afin d'éviter les discussions entre élèves pour mieux les comprendre
séparer les élèves bavards
chuchoter pour diminuer sa propre empreinte sonore.
prévoir des retours au calme entre les activités
... et proposer un casque antibruit aux élèves qui en ont besoin
Des apprentissages et outils au service d’un niveau sonore bas
Au-delà du cadre général mis en place, des apprentissages et dispositifs permettent également de maintenir un niveau sonore bas
apprendre aux élèves à reconnaître le niveau sonore
différencier les niveaux sonores acceptables selon les activités
utiliser un sonomètre
mettre en place un système de feux tricolores selon le volume de la classe, géré par l’enseignant-e ou un élève
Des applications pour visualiser le bruit en classe
Dans le même ordre d'idée, différentes applications permettent de visualiser le bruit en classe, afin d'en faire prendre conscience aux élèves et de les rendre autonomes dans sa régulation.
Question de contexte
Les activités menées en classe sont variées et diverses et ne nécessitent pas toutes de réduire ou de supprimer les distractions auditives. Au contraire, pour certaines, comme les activités artistiques, une émulation par les pairs permet d'augmenter la créativité.
Parfois même, l’utilisation d’un casque antibruit est contre-productive. Il est donc nécessaire de cibler les activités pour lesquelles l’accessoire est proposé et on se rend vite compte qu’il ne sera utile que pour une minorité d'entre elles (activités en orange sur l'illustration).
Même s’il est efficace pour réduire les stimuli indésirables et favoriser l’attention, nombre de situations scolaires l’excluent d’emblée, les contre-indications étant bien plus importantes que les avantages qu’il apporte. À l'inverse, dans les situations de travail personnel (individuel), pour lesquelles les élèves doivent s'extraire du groupe afin de se concentrer sur des tâches à réaliser seul, parfois à haute valeur réflexive, l'outil trouvera toute son utilité.
Besoin ou luxe ?
Maintenant que nous avons ciblé les activités qui sont propices à l'utilisation du casque antibruit, voyons ce qu'il en est des élèves.
Selon leurs caractéristiques propres, il peut être tour à tour un besoin vital, une nécessité, une aide bienvenue, un outil de confort ou encore un luxe inutile.
un besoin vital, nécessité : de nombreux élèves dans nos établissements scolaires souffrent d’une difficulté à réguler les stimuli extérieurs, entre autres sonores. Je pense en particulier aux élèves atteints d’un trouble de déficit de l’attention, de troubles du spectre autistique, mais aussi aux élèves hypersensibles, au bruit en particulier.
une aide : bien que l'élève puisse travailler sans l'outil, celui-ci l'aide manifestement à accomplir certaines tâches.
un confort : ces élèves peuvent s'en passer et rester attentifs à la cible proposée sans accessoire supplémentaire. Cependant, l’isolation du milieu sonore ambiant leur donne un coup de pouce supplémentaire pour effectuer leur travail.
un luxe : pour certains élèves, le casque antibruit est totalement inutile, il n'apporte pas de plus-value à leur travail parce que les stimuli sonores ne les empêchent pas de travailler, voire leur permettent de sentir que le groupe est là autour d'eux.
De la même manière qu’un élève myope, qui peut suivre une leçon en voyant mal ce qui est écrit au tableau noir, pourrait s’en rapprocher ou peut se faire une image mentale en recoupant les informations captées par les autres sens, tout élève peut travailler dans un milieu sonore envahissant, moyennant des efforts supplémentaires entraînant une fatigue accrue. Cependant, on proposera des lunettes à l’élève myope, pourquoi ne pas proposer un casque antibruit à l’élève plus sensible aux sons de son environnement de travail ?
Ce n’est pas vital, mais cela va réduire son stress, sa charge mentale et sa tension nerveuse. C’est dans ce cadre et selon cet allègement de la fatigue que le curseur doit être placé. Entre les élèves qui n’éprouvent pas le besoin d'utiliser un casque antibruit - et qui bien souvent n'en ont pas besoin - ceux pour qui il apporte un confort de travail, un peu comme une chaise plus rembourrée - et ceux pour qui il rend le travail possible dans des conditions acceptables, il y a autant de situations que d'élèves à prendre en compte. Entre proposer un casque à tous les élèves et le réserver à certains élèves diagnostiqués comme très sensibles et dérangés profondément par le bruit, il y a également quantité de situations intermédiaires.
Des écueils à éviter
Le casque antibruit n'est pas nécessaire dans toutes les situations d'apprentissage et ne convient pas à tous les élèves. En réfléchissant à l’attention, à la réduction des stimuli sonores indésirables et en cherchant des pistes d’amélioration, d'autres écueils sont encore à éviter. Ils pourraient conduire à des situations qui répondraient parfaitement au problème particulier de l'ambiance sonore, mais créeraient des conditions de travail peu enviables, ne prenant pas en compte les autres éléments de l'apprentissage et de la vie en groupe.
Le casque antibruit n'est pas une baguette magique. Son bénéfice doit être expliqué aux élèves, sans quoi les élèves pourraient se mettre à parler plus fort pour être entendus malgré le casque !
Le casque antibruit ne doit jamais être une obligation. Le choix de porter un casque antibruit doit être volontaire. Il n’est pas un outil magique et son utilité repose sur le fait de le désirer et de volontairement accepter ses contraintes.
Le casque antibruit ne se porte pas toute la journée. La durée de son utilisation doit être réduite le plus possible : les élèves viennent à l’école pour apprendre ensemble et non pour être cloisonnés chacun dans leur univers feutré et aseptisé. Les activités pendant lesquelles le dispositif est utilisable doivent être expliquées aux élèves, ainsi que l’objectif poursuivi.
Le casque antibruit n'est pas utile pour tous. Certains élèves l'apprécieront, d'autres le détesteront. Le casque antibruit est un accessoire de différenciation facultatif et ne doit être utilisé que pour les élèves qui en ressentent un besoin et y trouve des bénéfices.
Le casque antibruit n'est pas un dispositif unique en vue de réduire les distractions et d'améliorer la concentration. Comme nous l'avons vu plus haut, les questions d'attention et de réduction des distractions ne se résolvent pas avec un simple outil. La situation est bien plus complexe.
Le casque antibruit doit rester un dispositif parmi tous ceux qui permettent de favoriser l’attention et de réduire les distractions.
Un exemple d’utilisation parmi tant d'autres
Depuis quelques semaines, ma classe dispose de quelques casques antibruit. Ils sont utilisés de manière très libre tout en étant encadrés par des principes généraux.
Les élèves les utilisent principalement pour les activités suivantes :
temps calme à l’arrivée ou au retour de la récréation, temps destiné à se préparer aux tâches scolaires et à quitter le tumulte possiblement existant à l’extérieur de la classe. Lors de l’arrivée en classe, un temps d’accueil en commun suit ce temps calme.
temps de travail individuel avec les ceintures de compétences : durant ces activités, chaque élève effectue des actions différentes, selon des plans de travail. Il peut se déplacer, prendre du matériel, vaquer à différentes activités sur fiche, sur écran ou encore utilisées des dispositifs ludiques. L'agitation est semblable à celle d'une ruche. Le casque antibruit permet aux élèves qui effectuent une activité papier à leur place de s'extraire de cette ambiance fourmillante.
comme dans toutes les classes, après un apprentissage le plus souvent en groupes ou en commun, un temps d’appropriation a lieu pour que les élèves appliquent ce qu’ils viennent d’apprendre. Ce temps chacun pour soi est également propice à un certain isolement.
D’une manière générale, les élèves utilisent peu le casque antibruit à l’échelle des 28 périodes hebdomadaires de cours. Certains l’utilisent plusieurs fois, d’autres pas du tout. Il est un outil, proposé, voire conseillé à certains élèves, à disposition de tous, permettant à chacun de décider d’y avoir recours ou non. Dans ce sens, il contribue à l’autonomisation des élèves, qui peuvent apprendre si et dans quelles conditions son utilisation est requise, utile ou superflue.
Réfléchir aux autres distractions
Si le casque antibruit a permis d’entrer plus profondément dans la compréhension de l’attention et de la réduction des stimuli auditifs, peut-être que la réflexion pourrait se poursuivre quant aux autres sources de distractions, visuelles notamment.
Lorsque nous avons emménagé dans notre nouvelle classe, ma collègue et moi avons été particulièrement attentifs à ne pas remplir la zone de travail d’affiches en tout genre, sensées rappeler aux élèves certaines notions, mais bien plus souvent attirant leurs regards vers des éléments qui ne sont pas nécessaires sur le moment. L’utilisation d’éléments à suspendre en situation peut être un bon outil pour ne proposer des aides visuelles que lorsqu’elles sont nécessaires.
Les mots de la fin
En conclusion, l'intégration des casques antibruit dans l'environnement scolaire s'inscrit dans une démarche de différenciation pédagogique, répondant aux besoins spécifiques de certains élèves tout en proposant un confort accru pour d'autres. Cette innovation témoigne de l'évolution des pratiques éducatives vers une prise en compte plus fine des divers profils d'apprenants et de leurs conditions d'apprentissage. Cependant, l'utilisation des casques doit rester contextualisée et volontaire, afin d'éviter de nuire à l'interaction sociale et à la dynamique de classe. Les casques ne sont pas une solution universelle, mais un outil parmi d'autres pour améliorer l'attention et la concentration. Ils permettent une autonomisation des élèves, qui apprennent à évaluer leurs besoins et à adapter leur environnement de travail. Enfin, cette démarche incite à une réflexion globale sur l'attention en général et les distractions en particulier, ouvrant la voie à d'autres innovations pour optimiser l'enseignement et l'apprentissage..