La part de cauchemar dans le rêve
Fais ce qui te plaît et tu ne travailleras pas un seul jour !
C’est un beau dicton que l’on a peut-être appliqué… en partie. Parce que si cette affirmation n’est pas tout à fait mensongère, elle n’est en tout cas pas complète.
Quel que soit le métier que l’on choisisse, il a toujours une part inhérente à celui-ci qui ne nous plaît pas.
Le pilote de ligne ou l’hôtesse de l’air rêvent de voyager dans le monde entier, mais n’ont certainement pas choisi ce métier pour les décalages horaires qui perturbent leur rythme de vie.
L’astronaute rêve d’explorer l’espace et de vivre des expériences uniques, que seules quelques personnes sur la terre pourront expérimenter, mais a-t-il calculé le coût en termes d’isolement et d’absence loin des siens ?
Beaucoup rêvent d’être actrices ou acteurs pour jouer des rôles et probablement devenir célèbres, cependant ont-ils compris qu’ils seront soumis à une pression médiatique constante et que leur vie privée sera souvent réduite à peau de chagrin ?
Les enfants rêvent de devenir vétérinaires, d’être entourés par une multitude d’animaux aussi mignons les uns que les autres. Toutefois, le risque de blessure et de confrontation avec la mort est bien plus présent qu’on ne l’aimerait.
Combien j’ai vu de mes élèves avoir envie de devenir le futur Ronaldo ou Sommer, de vivre de leur passion, de devenir célèbres et d’être champion du monde. Pourtant, c’est à une carrière bien courte qu’ils ont affaire et les quelques élus adulés sont bien rares en regard du nombre de joueurs professionnels, eux-mêmes étant une infime partie de ceux qui ont rêvé de passer leur jeunesse dans ce sport.
L’an passé, un de mes élèves me disait qu’il n’avait pas besoin d’apprendre ni même de travailler : il voulait devenir YouTubeur. Cependant, tous ceux qui font sérieusement cette activité et qui peut-être perceront et gagneront leur vie au moyen de ce média sauront ce qu’il en coûte : pression du contenu, commentaires et heures de travail incomptabilisables !
Et, nous, enseignants, quelle est la part de cauchemar dans notre rêve. Quels sont ces éléments que nous n’avons probablement même pas imaginés en embrassant la profession ? Ces éléments qui prennent de plus en plus de place, au point certains jours d’éclipser totalement cette joie d’enseigner, de transmettre, d’accompagner.
La part de cauchemar dans le rêve des enseignantes et des enseignants
Depuis le temps que j’arpente les collèges et les salles des maîtres, qui sont bien plus occupées par des maîtresses, j’ai entendu nombre de témoignages qui semblent tous aller dans le même sens et devenir plus pressant.
Tous me parlent de l’administration de plus en plus importante, des petites tâches qui deviennent titanesques par l’introduction de moyens techniques qui ne sont pas au point. Par exemple, la simple commande d’un billet de transport en commun devient un parcours du combattant, long, harassant et inquiétant.
Si l’on devait définir ce début de XXIe siècle, on pourrait sans doute le qualifier d’administratif, de bureaucrate, de complexe, où les outils informatiques qui devraient nous simplifier la vie — c’est du moins sous cet angle qu’ils nous sont proposés — la compliquent à de nombreux collègues. La gestion se veut toujours plus précise, appuyée sur des documents toujours plus nombreux. La course à l’économie financière et la chasse aux erreurs, volontaires ou non, conduisent à ajouter toujours plus de démarches pour obtenir un dû ou un nécessaire. Au-delà du temps et de l’énergie investis, c’est le moral, l’envie, la passion qui en prend un coup. Il faut du courage et de la résilience pour tenir le coup et continuer de rêver comme au premier jour. Parfois, ce sont même des éléments extérieurs à notre classe et notre vie d’enseignant qui nous permettent de garder cette passion qui nous animait lors de nos premiers mois ou de nos jeunes années.
Ni doux rêveur ni pessimiste
L’administration ne va pas diminuer : c’est non seulement une marque de ce siècle, mais c’est aussi son outrance : tout rationaliser, documenter, notifier.
Les outils qui nous sont proposés pour nous faire gagner du temps, pour faciliter la communication et remplir toutes ces tâches ne sont pas toujours réfléchis suffisamment en termes d’expérience utilisateur pour les non-avertis que nous sommes, nous les enseignants. Ils devraient nous aider, mais la marche est tellement haute que nombreux sont ceux qui s’y encoublent.
Le temps administratif est non seulement de plus en plus important, mais il se fait bien souvent dans la confusion et la crainte de ne pas arriver au bout des procédures, de ne pas trouver le bon moyen, le bon chemin, la bonne manière d’arriver au sommet et de triompher des tâches administratives.
D’une certaine manière, cela me fait penser au Petit Poucet auquel on remplacerait tous ces petits cailloux par des balises GPS. De temps à autre, elles fonctionneraient correctement, seraient mal orientées ou encore nécessiteraient d’une mise à jour. Nous perdons nos repères au profit de nouveaux outils pas toujours aboutis ni adaptés à nos besoins.
Pourtant, ce constat, qui pourrait s’allonger encore de nombreux paragraphes, ne me rend pas pessimiste. Simplement parce que nous sommes enseignants : nous croyons en l’apprentissage et en la possibilité de dépasser ses limites par l’effort, le travail et l’acquisition de nouvelles compétences.
Nous sommes nombreux à ne pas avoir appris à vivre dans le siècle présent, à utiliser ses outils et à mettre en place des démarches efficaces pour progresser dans les nouvelles tâches qui sont les nôtres. Ne pensez pas que c’est plus facile pour les jeunes qui sont nés avec des écrans entre les mains. Il y a quelques années, j’avais un YouTubeur professionnel — un vrai, qui a plus de 100 000 abonnés ! — comme papa d’élève. Ainsi, il me disait que la connaissance des outils informatiques était encore moindre par les jeunes qui ont été élevés avec les écrans à la place des livres. Ils connaissent juste les clics sur les réseaux sociaux, mais sont incapables de mettre en page un document avec un traitement de texte !
En Suisse romande, nous avons du temps pour préparer les cours, pour les rendez-vous avec les parents et les réseaux avec les spécialistes, du temps aussi pour rédiger les différents rapports, les contacts avec notre hiérarchie et temps encore pour remplir les innombrables formulaires. Pensez, nous avons 1000 heures annuelles (pour un enseignant primaire à temps plein). Mais, nous avons également un grand souci : nous avons été formés et nous nous considérons bien trop souvent comme un employé, un exécutant alors que notre fonction d’enseignant et de maître-sse de classe est bien plus proche de celle d’un manager, d’un cadre, voire d’un manager… à une différence près : nous n’avons pas appris à remplir ces fonctions. Nous n’avons pas appris à régir notre temps de manière efficace, à gérer les informations que nous recevons à bon escient, ni à classer toutes nos trouvailles et perles de manières à les retrouver rapidement…
Mais ce n’est pas trop tard : ce que nous ne connaissons pas encore, nous pouvons l’apprendre.
Un constat qui se mue en projet
Ce billet ne se veut pas seulement être un constat, mais aussi le point de départ d’un parcours pour aller plus loin : découvrir de bonnes pratiques, proposer des outils et enrichir l’expérience d’habitudes qui ont fait leurs preuves. Entre autres auprès des managers.
Depuis des années, je me forme aux pratiques de gestion du temps et de l’information auprès de mentors qui forment les cadres des plus grandes entreprises. Cela peut paraître abstrait et lointain, mais adapté à notre réalité, cela peut grandement nous secourir, nous aider à structurer notre administration… et peut-être même à dompter la pieuvre. Une patte après l'autre.
Ce billet est le premier d’une série qui proposera des pistes de gestion de notre administration, dans la ligne du projet que je mène avec mes collègues dans l’établissement primaire où je travaille.
Pour aller plus loin…
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