Vous avez aussi l'impression que tout part en vrille et que vous n'arrivez plus suivre ce que vous avez préparé ? Continuez, vous êtes sur la bonne route !
Lundi, c'était la reprise après deux semaines de vacances et de changement d'air, géographique et occupationnel. Je n'ai pensé à l'école que quelques secondes pendant ces dix jours et ça m'a fait un bien fou !
J'aime débuter mes semaines avec une ronde d'ouverture qui comprend, entre autres, une question ouverte à laquelle tous les élèves répondent. Il n'y a pas de vrai ou de faux, simplement l'expression de son idée ou de son sentiment. Pour ce retour de vacances, j'avais prévu une formule à compléter : "J'aurais préféré rester en vacances parce que… mais je suis content de revenir à l'école car…" C'était une manière de montrer que, dans certaines situations - et peut-être plus souvent qu'on ne le pense - on peut avoir des sentiments ambigus, partagés, opposés. Les élèves ont très bien accroché et n'ont eu aucune peine à compléter ces deux affirmations. Pour éviter les pertes de temps liées aux aléas de la mémoire à court terme, j'avais écrit la phrase à compléter sur un écran à proximité. La plupart des élèves étaient contents de leurs vacances, de ce qu'ils avaient fait ou vu - moi aussi ! - et leur satisfaction de revenir à l'école était exclusivement liée au fait de revoir leurs camarades. Quand on dit que l'école est avant comprise comme un lieu social pour les élèves et que leurs attentes sont loin des nôtres, en voici une preuve supplémentaire !
Mais en quoi cela concerne-t-il ma planification ? J'y reviens dans un moment.
Les accents de planifications selon les semaines
Si vous avez suivi la vidéo que j'ai présentée il y a quelques mois concernant l'état des lieux de notre organisation personnelle, vous voyez où je veux en venir. Toutes nos semaines peuvent être planifiées de manière générale, mais chacune d'elles aura un ou plusieurs accents particuliers en fonction des priorités du moment.
En ce qui me concerne, les priorités du moment sont multiples :
l'accueil d'une stagiaire tessinoise pour deux semaines
l'accueil de ma stagiaire d'inversion de la HEP tous les mardis jusqu'à Noël
des modules à revoir ou à terminer pour pouvoir les évaluer et enfin avancer dans la récolte de notes,
de nouvelles routines à mettre en place - même si je ne me mets plus la pression et que j'ai appris que l'ensemble de mes habitudes de travail seront établies plutôt vers Pâques qu'à Noël. Mieux vaut bien faire le travail que d'aller trop vite !
Pour trois jours d'enseignement, c'est un peu beaucoup.
Encourager la vie
J'avais donc planifié mes enseignements de la semaine, mettant à l'honneur l'accueil des stagiaires et leur activité de présentation, la finalisation du module de mathématiques, une révision en profondeur du cours de sciences, une belle progression dans celui de musique et… la mise en place de la routine concernant les ceintures de compétences ! Tout ça en deux jours, ça aurait pu passer.
Mais c'était sans compter avec la réaction du terrain et ces connexions que vous sentez à un moment donné et que vous apprenez à ne plus laisser passer.
À la fin de notre routine d'ouverture de la semaine, j'ai senti que les élèves étaient prêts pour commencer à écrire leur phrase de la semaine. C'est une routine qui consiste à écrire une seule phrase chaque semaine, sur un thème donné, et à la corriger le plus possible au niveau du fonctionnement de la langue. L'actualité et le cadrage du sujet permettraient certainement à tous les élèves de se lancer dans l'écriture sans devoir réfléchir pendant de longues minutes à ce qu'ils pourraient bien dire. Et c'est ce qui s'est en effet passé le lendemain.
Sauf que ce n'était pas prévu dans ma planification.
Sauf que je n'avais toujours pas préparé mon nouveau document agréable de routine de correction.
Sauf que j'avais bien d'autres choses à faire !
Mais j'ai choisi de privilégier le fonctionnel, ce qui était sur le point d'éclore plutôt que de suivre rigoureusement et un peu bêtement ma planification.
Et ce n'est pas fini !
J'ai donc passé ma soirée à créer le graphisme de ma routine de relecture de texte, désirant sortir de la liste de choses à faire pour une illustration bien plus agréable. C'est ce vers quoi je tends de plus en plus actuellement. Le contenu était connu, restait à rendre concrètement l'idée que j'avais en tête. Après quelques heures de travail, le rendu me semblait cohérent et plutôt joli… mais est-ce que les élèves allaient comprendre ce que je leur voulais. Parce que, si moi je connaissais par cœur la liste des étapes de la routine, eux la découvraient à partir de mon joli dessin et que le but était quand même bien plus qu'ils la mettent en pratique que d'avoir une œuvre d'art à coller dans leur cahier.
Le lendemain, lorsque les élèves sont arrivés en classe, j'avais affiché mon œuvre d'art en grand au tableau. Ils ont appris que, parfois, il y a de nouvelles choses dans la classe qu'ils peuvent observer et essayer de comprendre avant qu'on en parle ensemble. C'est l'effet de surprise et cela les rend bien plus intéressés et attentifs lorsqu'on s'y penche enfin.
Nous avons donc pris un bon moment pour parler de cette affiche, qu'ils avaient collée en taille réduite dans leur cahier, pour comprendre ce qu'elle nous enseignait et à quoi elle servirait. Passé la phase d'explication, nous sommes entrés dans la mise en pratique : reprenez la formule d'hier et complétez-la, par écrit cette fois. Elle était bien sûr écrite au tableau et la plus grande partie de leur travail de rédaction du jour consistait à la recopier. Sans faute.
Suivait alors la partie nouvelle et la plus difficile : mettre en pratique les différentes étapes de ce parcours de relecture. Parce que c'était nouveau. Parce que relire et corriger un texte n'est généralement pas l'étape de l'écriture que l'on préfère. Parce qu'ils n'avaient pas les outils !
Après une bonne demi-heure passée à avancer tant bien que mal dans la piste boueuse plutôt que sur l'autoroute du parcours de relecture de leur production - oui, je suis un grand fan de l’émission les Routes de l’impossible - l'heure de la pause de midi est arrivée et j'ai mis fin à cette étape du travail. Certains étaient déçus, d'autres soulagés. Et moi, j'étais perplexe.
La plupart des élèves avaient bien appréhendé le nouvel outil. tous l'avaient compris, à mon grand soulagement : Mais, monsieur, c'est facile : il suffit de suivre la route !
Mais ils manquaient de connaissances et d'outils pour pouvoir vraiment progresser. Leurs connaissances en conjugaison sont encore basiques. Chercher dans le dictionnaire est une tâche fastidieuse et dont ils ne connaissent pas encore tous les rouages. “Monsieur, je ne trouve pas "n'avait pas envie" dans le dictionnaire”. Sans compter qu'ils préfèrent de loin utiliser les gros dictionnaires plutôt que les petits, chercher un mot leur prend donc trois fois plus de temps ! Le Bescherelle de conjugaison leur est encore inconnu et donc d'aucune utilité ! Que de collines, voire de hauts sommets à surmonter !
Et surtout, lacune dans mon enseignement que je veux de plus en plus explicite, je les avais lancés dans l'activité sans avoir démontré l'activité et le résultat attendu devant eux. Avec eux !
Mais c'est là que j'étais content, ravi même. Les élèves étaient entrés dans une tâche complexe, si complexe que j'avais plein de pistes à explorer pour leur donner des outils dont ils savaient maintenant qu'ils avaient besoin. J'étais excité, je vivais l'instant pédagogique, comme dit Philippe Meirieu dans sa Lettre à un jeune enseignant.
La planification aux orties
Cet après-midi, je devais expliquer aux élèves comment fonctionnent les ceintures de compétences et leur permettre de s'y engager. C'était mon programme, ma décision, mon choix. C'était ce qui devait venir ensuite, ce qu'il fallait enfin mettre sur le tapis… parce que j'avais choisi que c'était le moment. Et je pourrais donner au moins 10 bonnes raisons de mon choix.
Mais ce que la fin de la matinée attendait, c'était qu'en bon enseignant, je montre concrètement à mes élèves comment ils étaient censés faire ce que je leur avais proposé.
Comment on utilise ce parcours de relecture ?
Comment on réfléchit à l'accord dans le groupe nominal ?
Comment on conjugue un verbe ?
Comment je peux réfléchir aux homophones (et d'abord, qu’es.ce qu’un homophone - ça tombe bien, ce matin, un élève a été nagé dans la maire !) ?
Donc j'ai fait la suite de la leçon façon enseignement explicite et j'ai continué le lancement de cette routine au lieu de celle des ceintures.
Un enseignement qui a du sens
J'ai donc proposé aux élèves qui le souhaitaient de me donner leur cahier de phrases, peu importe où ils en étaient dans le processus et nous avons parcouru la relecture de leurs écrits tous ensemble, le cahier étant projeté à l'aide de l'iPad via un support adéquat.
Les élèves étaient attentifs, intéressés, que ce soit leur cahier ou celui d'un camarade qui était projeté. En outre, j'ai pu commencer mon enseignement de la conjugaison, reporté de multiples fois et ce matin encore. Base, marque du temps (imparfait), marque de la personne… Dans cet enseignement fonctionnel, les bases théoriques l'orthographe ou la conjugaison avaient du sens pour les élèves, pour le présent et l'avenir.
Au lieu de donner une leçon dont les bases et le but seraient obscurs, ici, le sens était évident, l'utilité également ! J'aime ces leçons, j'aime pouvoir rebondir, laisser la place à ce qui a du sens plutôt qu'à ce qui est prévu, rebondir sur ce que les élèves disent, font et parfois demandent.
Au final, j'ai laissé quelques minutes aux élèves pour pouvoir effectivement noter dans leur cahier tout ce dont nous avions discuté. Nul doute que cette phase - qui n'est que la première d'une routine qui se produira au moins une centaine de fois au cours du cycle - portera bien plus de fruits que si j'avais consigné par écrit les différentes difficultés et que je les avais enseignées de manière détachée de leur contexte durant les prochaines semaines.
Au bout du compte…
… rattrapez vos planifications !
Bien sûr, avec un peu de bon sens, vous aurez compris que je ne prône absolument pas le fait d'enseigner selon ce que l'on ressent et encore moins selon ce que les enfants demandent - ce mardi, ils n'ont rien demandé !
Il y a des saisons dans l'année scolaire et, après quelques volées, on sent très bien les temps et les rythmes, avec des variations, mais surtout avec des régularités. Pour moi, dans les enseignements principaux, il y a toujours ces saisons :
la première période de 5P est consacrée à la mise en place des habitudes, à la compréhension mutuelle de nos besoins et de nos attentes. C'est aussi durant ces semaines que je pose les premières tuiles de mon enseignement : numération, dictées, expression écrite, premières leçons de sciences, d'arts visuels, de musique, avec un accent tout particulier sur le comment et le pourquoi.
ensuite, jusqu'à Noël, c'est la première ligne droite du grand circuit scolaire : on va utiliser tous les outils mis en place précédemment pour passer la deuxième vitesse - au moins - et se concentrer sur des enseignements plus denses et plus nombreux. De nouvelles routines sont également mises en place. Ce qui est intéressant, c'est que, selon les volées, les accents, les idées, les envies, toutes les routines ne sont pas posées chaque année dans le même ordre, donnant diversité et nouveauté pour l'enseignant.
en janvier, c'est généralement l'entrée en piste des livrets et de dictées plus complexes…
…
L'enseignement n'est jamais laissé au hasard, les journées ne se déroulent pas au petit plaisir la chance.
Enseigner, c'est sérieux ! Mais pas au point de tenir rigoureusement la barre de sa classe et de passer à côté des interactions qui ont du sens.
Entre planification et bon sens, entre progression prévue et adaptation à la réalité de la classe, c'est là que se vivent les meilleurs moments. Encore une tension à appréhender, dont le vrai ne se trouve pas dans les extrêmes, mais quelque part entre celles-ci.